Devoir de vigilance des entreprises : le Parlement européen doit renforcer les obligations climatiques

 (Crédit : CC European Union 2022 (Flickr)
Crédit : CC European Union 2022 (Flickr)

Le 9 février a lieu le vote de la Commission de l’Environnement (ENVI) du Parlement européen sur la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. C’est une opportunité pour les parlementaires européens de renforcer significativement les exigences climatiques imposées aux entreprises.

Depuis plusieurs mois, le Parlement européen travaille à l’élaboration de sa position sur la proposition de directive de la Commission sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Neuf commissions parlementaires doivent se prononcer sur une ou plusieurs parties du texte. Dans ces débats, le leadership a été confié à la commission des Affaires juridiques (JURI). Cinq autres commissions sont dotées de compétences partagées : il s’agit des commissions du Commerce international (INTA), des Affaires économiques et monétaires (ECON), de la sous-commission des Droits de l’homme, liée à la commission des Affaires étrangères (AFET/DROI), de l’Environnement et de la santé (ENVI) et de l’Emploi (EMPL). Trois autres sont habilitées à rendre un avis consultatif : les commissions du Développement (DEVE), du Marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) et de l’Industrie, de la recherche et de l’énergie (ITRE). Les travaux préparatoires devraient se conclure en mars avec le vote en commission JURI, qui transmettra alors le projet à la plénière du Parlement, dont on attend le vote au mois de mai prochain.

Les premiers résultats des votes en commissions

Une première salve de votes a eu lieu les 24 et 25 janvier : les commissions INTA, AFET/DROI, ECON et DEVE ont voté en faveur d’amendements visant à renforcer la proposition de directive sur différents points essentiels. Ces amendements permettent notamment de préserver la notion de chaîne de valeur et d’étendre le champ d’application des entreprises concernées (INTA), voire d’inclure les PME dans les secteurs à haut risque (AFET/DROI), d’élargir les normes relatives aux droits humains couvertes par la future directive (AFET/DROI), ou encore d’inclure le secteur financier dans la liste des secteurs à haut risque (ECON) conformément aux recommandations de l’OCDE en la matière.

Au contraire, les amendements adoptés en Commission ITRE visaient à affaiblir le texte, notamment en réduisant le champ d’application aux très grandes entreprises (de plus de 5 000 employés) actives en dehors de l’UE ainsi qu’en limitant les obligations de vigilance à la chaîne d’approvisionnement (les risques et impacts en aval de la chaîne de valeur sont exclus) et au premier niveau de la chaîne (c’est-à-dire seulement aux relations commerciales directes).

Les enjeux climatiques sous la loupe

Dans sa résolution de mars 2021, le Parlement européen avait formulé des recommandations ambitieuses à l’égard de la Commission, en ce compris pour renforcer les exigences climatiques imposées aux entreprises.

Dans la proposition de la Commission, les normes environnementales à respecter par les entreprises sont en effet définies de manière très restrictive : les atteintes à l’environnement se limitent aux violations de certains instruments juridiques internationaux spécifiques énumérés dans une annexe fermée. La seule obligation qui incombe aux grandes entreprises est d’élaborer un « plan de transition climatique » conforme à l’Accord de Paris (article 15). Comme le changement climatique est exclu de l’obligation de vigilance, les entreprises ne pourront toutefois pas être tenues juridiquement responsables de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Vu l’engagement de l’UE à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C et atteindre la neutralité carbone en 2050, la future directive devrait dès lors logiquement inclure le climat dans la liste des impacts environnementaux, obliger les entreprises à prévenir les risques climatiques dans leurs chaines de valeur mondiales et les tenir responsables de l’atteinte de leurs objectifs de réduction de gaz à effet de serre.

Les parlementaires européens de la commission ENVI ont l’opportunité de renforcer significativement le texte en votant des amendements ce le 9 février. Les commissions EMPL et IMCO seront ensuite les dernières à se positionner (début mars), avant les votes en Commission JURI (mi-mars 2023) et enfin en séance plénière (mai 2023).

Nos recommandations à la commission ENVI

Impacts climatiques
  • L’obligation pour toutes les entreprises de faire preuve de diligence raisonnable et de remédier à leurs impacts climatiques  : identifier et évaluer les risques d’impacts néfastes de leurs émissions de gaz à effet de serre dans leurs chaînes de valeur mondiales ; prendre les mesures appropriées pour prévenir et faire cesser ces impacts ; et communiquer de manière claire et transparente à ce sujet.
  • L’obligation pour toutes les entreprises de rendre des comptes et d’être tenues responsables de leurs impacts  : les entreprises doivent être contrôlées et sanctionnées si elles manquent à leurs obligations. Les communautés locales, les agriculteurs, les travailleurs ou encore les défenseurs de l’environnement qui sont menacés par les inondations, la sécheresse ou d’autres impacts climatiques doivent pouvoir obtenir justice et réparation devant les tribunaux. Nous devons être en mesure de poursuivre les entreprises de l’UE pour greenwashing et plans d’action climatiques fictifs.
Plans climatiques

Toutes les entreprises doivent avoir un plan pour s’aligner sur l’Accord de Paris et limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Ce plan doit :

  • définir des objectifs clairs à court et moyen termes pour 2030 et 2050, ainsi que des échéances à 5 ans.
  • couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur ainsi que les émissions de portée 1, 2 et 3 [1]. L’impact total des émissions des entreprises est caché derrière des chaînes complexes de relations commerciales, et les plus grandes émissions d’un produit (par exemple, le pétrole) ne proviennent pas de la façon dont il est fabriqué, mais de la façon dont il est utilisé (scope 3).
  • ne pas reposer sur la compensation des émissions de CO2 : les entreprises doivent plutôt calculer leurs réductions absolues, la compensation n’étant pas une mesure fiable des réductions réelles d’émissions.
  • inclure des actions concrètes : les entreprises doivent expliquer clairement où et comment elles peuvent décarboner leurs activités.

[1Les scopes d’émissions renvoient au Protocole des GES, une norme de comptabilisation et de déclaration des gaz à effet de serre à destination des entreprises internationalement reconnue.